Un centre-ville, ça s’entretient… ou ça meurt
Par Rédaction
Par Philippe Leclerc
À Saint-Jérôme, dès que le soleil se couche, le centre-ville devient inquiétant. Trop sombre. Trop vide. Une cliente a confié qu’elle n’ose plus marcher seule entre la Place de la Gare et la rue Labelle. Une autre, qu’elle préfère magasiner à Mirabel : mieux éclairé, plus simple, moins de risques de contravention. Ce n’est pas un cas isolé. C’est un écho constant dans les commerces du cœur jérômien. Pas dans les documents de stratégie. Pas dans les bilans souriants. Sur le plancher. Dans le vrai monde.
Pendant que la Ville publie un Portrait du secteur commercial aux courbes engageantes et que sa Stratégie 2030 salue la vitalité économique, les commerçants, eux, jonglent avec l’insécurité, l’accessibilité déficiente et une offre culturelle quasi absente. Ce décalage est devenu impossible à ignorer. Et ils l’ont dit. Noir sur blanc.
Une lettre ouverte. Une pétition. Des solutions concrètes. Aucune plainte stérile. Juste un appel lucide à travailler ensemble. Parce qu’ils y croient encore, à ce centre-ville. Mais pour y croire, il faut qu’il reste vivant.
Trois urgences. Trois gestes attendus.
Sécurité, d’abord. Le jour, ça passe. Merci aux policiers qui font leur maximum. Mais le soir, la ville s’éteint. Littéralement. La promenade le long de la rivière du Nord, pourtant magnifique et coûteuse, est sombre, sous-utilisée, presque abandonnée. Trop peu de lampadaires. Trop de lumières brûlées. Trop de gens qui fuient, et trop d’autres qui s’installent sans respect.
Ce n’est pas une question de stigmatisation. C’est une question de présence, d’aménagement, de volonté politique. Parce qu’un espace désert et mal éclairé, c’est un espace qu’on cède. Et un centre-ville qu’on perd.
Accessibilité, ensuite. La fin du stationnement gratuit de 90 minutes à l’heure du dîner? Une goutte de trop. Mauvais signal. Mauvais moment. Le déclencheur. Les gens ne veulent pas payer pour aller acheter une baguette ou prendre un café. Surtout pas quand les alternatives manquent.
Où sont les supports à vélos? L’intégration avec le P’tit Train du Nord? Le parcours piétonnier fluide? Le transport collectif à la hauteur? On densifie — et tant mieux. Mais densifier sans penser l’accessibilité, c’est construire un théâtre sans sortie de secours.
Et la culture? Une preuve de la pauvreté de l’offre? Saint-Jérôme a laissé filer le Festival Nord-de-Rire. Deux éditions pleines de promesses : 6000 personnes la première année, plus de 10 000 la seconde. L’esprit du Festif de Baie-Saint-Paul, mais ici, chez nous : des humoristes dans les bars, les boutiques, les restos.
Et pourtant, on n’a pas reconduit le soutien. Pour des raisons politiques? Seul Dieu le sait et le diable s’en doute. Mirabel, elle, a flairé la bonne affaire. Et signé pour les prochaines années.
Depuis? Quelques événements dispersés, souvent peu fréquentés, souvent coûteux. Peu de promoteurs privés. Une Place des Festivités quasiment vide.
Et pourtant, les atouts sont là : le Théâtre Gilles-Vigneault, la vieille gare, la cathédrale, la Place Curé-Labelle, le KM 0 de la plus belle piste cyclable du Québec. Mais un cœur sans impulsion finit par cesser de battre.
Ce n’est pas le personnel administratif qu’il faut viser. Les fonctionnaires suivent les ordres, appliquent les priorités. Le vrai pouvoir est politique. C’est à nos élus d’entendre. De choisir. De poser des gestes.
Et pour poser les bons gestes, encore faut-il écouter les bonnes personnes. Les commerçants sont là, disponibles. Ils demandent à participer. Ils tendent la main. On leur répond par des promesses floues, des plans à dix ans, des consultations sans suite.
Il est temps de se réveiller. Saint-Jérôme, c’est la capitale régionale. Pas une banlieue d’appoint. Pas un carrefour dortoir. Une ville avec un cégep, une université, une histoire, une âme.
Ce n’est pas à Mirabel de nous voler la vedette. Ce n’est pas à une stratégie PowerPoint de définir notre avenir. C’est à nous.
Et surtout à celles et ceux qu’on a élus. Parce qu’un centre-ville, ça ne meurt pas en une nuit. Ça meurt d’indifférence, de délais, d’inaction. Lentement. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Les commerçants, eux, sont encore là. Ils n’attendent pas des miracles. Ils attendent des gestes. Simples. Concrets. Immédiats.
Alors, aux élus : jouez votre rôle. Ou passez le flambeau.