(Photo : Étienne Robidoux)
Karine, travailleuse de rue, discute avec Raymond, un résident de Saint-Sauveur.

Ces héros du quotidien- Partie 3

Par Charlier Mercier

Dans les Laurentides, des héros de l’ombre concourent à l’harmonie de la communauté. Cette semaine, nous mettons en lumière le travail de rue, où les intervenants agissent auprès de personnes marginalisées ou aux prises avec la crise du logement.

Maude (nom fictif ) loue une petite maison à Saint-Sauveur depuis 2015. Artiste peintre, son espace de vie est aménagé à son image : la décoration est foisonnante et regorge d’oeuvres picturales. « C’est la première fois de ma vie que je me sens chez nous », confie la soixantenaire qui habite avec ses chats. Pour elle, c’est le paradis : il y a une forêt toute proche et un espace devant sa maison pour entretenir un jardin. En raison de son état de santé précaire, Maude est inscrite au programme de sécurité sociale. Bientôt, elle devra quitter son espace de vie, puisque la maison est à vendre. L’acheteur potentiel souhaite rénover la maison avant de la relouer.

« Ça t’a fait quoi quand tu as appris que le bachelor serait vendu ? » demande la travailleuse de rue Karine Dorion à Maude. Les yeux de la dame se remplissent soudain d’eau et son visage lumineux s’assombrit. « Je me sens délogée, injustement », répondelle après un moment de silence.

Karine est travailleuse de rue dans la MRC des Pays-d’en-Haut, en particulier dans les municipalités de Saint-Sauveur, de Sainte-Adèle et de Piedmont, pour l’organisme communautaire L’Écluse des Laurentides. Elle accompagne Maude depuis maintenant cinq ans.

« Ce n’est pas parce qu’on est moins nanti qu’on est pas des citoyens à part entière. » – Raymond

Comme le prix des loyers a considérablement augmenté au cours des dernières années, Maude craint de ne pas trouver un logement qui lui convient. « Je vois ça comme une montagne de déménager », confie-t-elle, d’un ton inquiet. Pendant sa visite chez elle, Karine consulte des annonces de loyers de la région sur son téléphone intelligent. Les prix pour un 3 ½ ou un 4 ½ tournent autour de 1 000 $ par mois, ce qui ne respecterait pas le budget de Maude, qui paye mensuellement 720$ et dont le portefeuille est parfois pratiquement vide à la fin du mois.

La rareté des appartements dans les Laurentides est un enjeu pour les personnes à faible revenu, observe Karine. L’Écluse des Laurentides travaille en collaboration avec le Centre local de services communautaires (CLSC) de la région, notamment pour dresser une liste de logements abordables.

Raymond

Un peu plus tard, Karine rencontre Raymond au café communautaire l’Entre-Gens, à Sainte-Adèle. Elle prend un latté, lui, un Sprite. « Sans les travailleurs de rue, qu’estce que tu aurais fait ? », lui demande-t-elle. « Eh boy, je ne sais pas », murmure l’homme qui porte un chandail à manche longue de style camouflage. En juillet 2021, la maison de chambre où résidait Raymond a entièrement brûlé dans un violent incendie. En raison de problèmes de dos et de genoux, Raymond, âgé de 65 ans, bénéficie lui aussi du programme de sécurité sociale. Ne trouvant pas de logement qui lui convenait, il a vécu quelques semaines dans des motels, perdant du même coup une partie de son allocation. Karine l’a épaulé avec les démarches de relogement et de dédommagement financier à la suite de l’incendie qui a causé une perte totale. Raymond habite maintenant au sous-sol d’un immeuble d’habitation à Saint-Sauveur, un ancien couvent. Son loyer lui coûte 450 $ par mois.

Il y a quelques années, alors que Raymond n’avait même plus de certificat de naissance, Karine l’a accompagné dans ses démarches pour se procurer une nouvelle carte d’assurance maladie et trouver un médecin.

L’écluse des Laurentides

L’Écluse des Laurentides est active dans la région depuis 1991 et compte 12 travailleurs de rues. Ils interviennent notamment auprès de personnes isolées, touchées par une précarité financière ou aux prises avec des troubles mentaux ou de consommation de drogues ou d’alcool.

En plus de la relation d’aide, la « relation d’être » occupe une place importante dans le travail de Karine. « C’est d’être là, de jaser avec la personne. On peut aller faire une marche ou parler de spiritualité ou d’avenir. Les gens m’appellent même quand ils vont bien », explique-t-elle. Maude raconte que la travailleuse de rue a été présente à des épisodes importants de sa vie, où elle avait eu des pensées suicidaires et vécu des périodes d’anxiété. « Karine, c’est un beau dictionnaire à ressources humaines. Elle me fait sentir importante. C’est précieux quand tu es seule », dit-elle.

« Les travailleurs de rue, ce sont des anges », confirme Raymond, qui a gagné de la confiance en lui grâce à eux. « Ce n’est pas parce qu’on est moins nanti qu’on n’est pas des citoyens à part entière », affirme-t-il avec conviction.

L’Association des Travailleurs et Travailleuses de Rue du Québec (ATTRueQ) regroupe près de 300 membres, oeuvrant à travers 15 régions de la province.

MRC Rivière-du-Nord: Au CISSS des Laurentides, 329 interventions ont été effectuées pour 123 usagers du 1er avril au 9 octobre 2021 inclusivement.

MRC des Pays-d’en-Haut: Les organismes ont traité 136 cas différents concernant le logement, et ont fait au moins 680 interventions, entre avril et la mi-septembre 2021.

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