Bonhomme de neige

Par Mimi Legault

CHRONIQUE

Je suis une fille qui marche quotidiennement (ou presque…). Ici au Québec, toutes les raisons sont bonnes pour ne pas marcher (fait trop froid, trop chaud, trop de vent, grêle, neige, canicule, mettez-en). C’est justement en me promenant que j’ai réalisé que les bonhommes de neige se faisaient rares en titi. J’ai donc décidé en revenant de ma marche d’en faire un beau gros, la neige s’y prêtant. Fière de moi, vous dites ? Je retrouvais ma jeunesse d’antan. Et puis soudain, ils sont arrivés.

D’abord, le gars de la ville est passé pour me signifier que mon bonhomme que j’ai appelé Henri II n’était pas dans les limites de mon terrain, mais plutôt dans celles de la ville. Une autre affaire, comme dirait mon beau-frère.

Il n’était pas sitôt parti que ma voisine féministe est venue me demander pour quelles raisons il n’y avait pas de bonnefemme de neige. Je l’sais-tu, moi ? Pour contenter tout l’monde, j’ai fait une compagne à Henri II que j’ai appelé Josette. Une dame âgée est passée devant mon couple en me disant les sourcils froncés que ça ne se faisait pas un bonhomme avec des seins (après tout, c’était juste deux boules de plus…).

V’la ti pas que deux gars gay passent en se tenant par la main : pourquoi un couple traditionnel ? J’aurais pu faire un deuxième Henri… Celle-là, je ne l’avais pas vue venir, je l’avoue. Un homme de couleur rebondit soudainement de je-ne-sais-où pour me poser LA question : pourquoi mes bonhommes étaient blancs ? Soupir…je l’sais-tu, moi ? Là, c’est Manu-la-végane qui retontit en me sermonnant pour avoir pris une carotte dans mon frigo pour le nez des bonhommes. Je n’en croyais pas mes oreilles.

Un couple de femmes gay que je connaissais de vue me demandent pourquoi je n’ai pas… Je leur coupe la parole subito presto : aie ho, je la connais votre question, les filles. J’allais rentrer quand mon amie musulmane me propose de mettre le foulard de ma bonne femme de neige dans sa figure plutôt qu’autour du cou… Je n’ai pas le temps de répondre qu’une voiture de police s’arrête drett devant chez moi. « Nous avons reçu une plainte comme quoi votre bonhomme ne suit pas les normes de la construction, côté terrain. Et le fait d’avoir pris des bâtons pour les bras des bonhommes pouvait être vu comme des objets de violence… »

Je demeure tellement abasourdie, la bouche grande ouverte, qu’il se met à rire en me donnant un 48 heures. Je suis encore là pétrifiée sur place en regardant le bout de papier que l’agent vient de me refiler qu’une voiture passe et me fait des hou hou parce que Henri II portait une vieille casquette des Nordiques.

C’était trop, je me suis laissée tomber par terre, totalement découragée. Je vous comprends les parents… Nos bonhommes de neige ont fondu avec le temps. Les enfants de 2025 ont perdu leur touche magique. Leurs petites mains qui sculptaient avec un art qui aurait fait rougir Rodin touchent désormais des claviers. Sont devant un écran et vous avez la paix. La sainte paix. Ben quoi que vous me répondez : sont pas en train de jouer dans la rue au risque de se faire frapper par une auto ou un rapt d’un pédo… C’est vrai qu’en-dedans, ils voient innocemment des jeux de violence qui leur apprennent comment se battre. Pas question d’aller prendre une bolée d’air frais, ils ont leur pompe au pis aller.

Alors, j’ai rendu les armes. J’ai débâti Henri II et Josette qui n’ont pas rechigné, eux. Et je suis rentrée chez moi en rêvant à l’été.

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