Barrages désuets : Vous pourriez perdre votre lac
Par Ève Ménard
Les barrages au Québec appartiennent majoritairement à des propriétaires privés, à des municipalités, au gouvernement ou encore à des associations de lacs. Bien que des exigences existent, leur gestion ne repose parfois que sur les épaules et la bonne volonté d’une seule personne. Et la présence d’un lac peut en dépendre. À qui revient, finalement, la responsabilité de ces ouvrages ?
Confusion au lac La Sapinière
Pour un troisième été consécutif, il n’y a pas d’eau dans le lac La Sapinière, à Val-David. Un barrage à forte contenance permet normalement de réguler le niveau d’eau grâce à un système de poutrelles. À l’automne, des planches sont enlevées pour éviter les inondations printanières. Puis, après la fonte des neiges, elles sont réinstallées. Or, depuis 2021, ces ajustements ne sont pas réalisés par la propriétaire du barrage. Résultat ? « Les gens qui avaient acheté une propriété sur le bord d’un lac se retrouvent avec une propriété sur le bord du gazon », résume la mairesse de Val-David, Dominique Forget.
Isabelle Boudreau, membre de l’association des riverains du lac La Sapinière, considère que cette réalité perturbe non seulement l’habitat sauvage de certaines espèces et la qualité de vie des riverains, mais également l’économie. « La valeur des terrains et des propriétés a beaucoup baissé. Pas juste pour les riverains, mais aux alentours aussi », dit-elle.
Selon Mme Boudreau, la Municipalité de Val-David doit faire l’acquisition du barrage pour régler le problème. Pour l’association, cette option n’est pas envisageable, précise-t-elle. Il n’y a qu’une dizaine de maisons autour du lac et l’association n’est pas admissible à des subventions. Les frais seraient donc trop importants à assumer. « Avec les propriétaires privés, on perd des lacs. Les gens vendent ou c’est une succession. S’il y a un nouveau propriétaire qui décide de s’occuper du barrage, c’est bien, mais à long terme, on ne le sait jamais », déplore Isabelle Boudreau.
Des pouvoirs limités
Lorsque les barrages sont privés, les pouvoirs des municipalités sont très limités pour assurer leur entretien sur leur territoire. « On est un peu tributaire du ministère de l’Environnement », précise Hugo Lépine, directeur général à Morin-Heights. Si une municipalité s’inquiète de l’état d’un barrage ou de la sécurité de ses citoyens, elle peut donc alerter le gouvernement.
Morin-Heights a d’ailleurs collaboré avec le ministère de l’Environnement au sujet du barrage Rockcliff, mal entretenu depuis quelques années déjà. « Il est situé sur une propriété privée qui appartenait jusqu’à tout récemment à un Européen. La Municipalité et le Ministère ont tenté par différents moyens de rejoindre le propriétaire, sans succès », raconte M. Lépine. Finalement, le terrain où se situe l’ouvrage a été vendu pendant la pandémie à un propriétaire québécois. « Le Ministère est en contact avec lui pour l’appeler à faire ses devoirs », indique le directeur général.
Le ministère de l’Environnement est celui qui veille à l’application de la Loi sur la sécurité des barrages et de son règlement. Des manquements sont d’ailleurs passibles d’amendes.
Un dossier judiciarisé
Concernant le barrage du lac La Sapinière, le dossier est encore plus complexe, puisqu’il est judiciarisé. La Municipalité de Val-David est actuellement en processus judiciaire avec la propriétaire du barrage, par rapport aux terrains de l’ancien hôtel La Sapinière. Val-David n’a donc aucune intention concernant l’acquisition du barrage, tant et aussi longtemps que le dossier demeurera judiciarisé, nous a confié la mairesse, Dominique Forget.
De son côté, le ministère de l’Environnement nous a répondu, par courriel, que l’avenir du barrage et du lac « relèvent de la responsabilité du propriétaire du barrage et non pas du Ministère. »
Manque de clarté et de communication
La gestion des barrages est extrêmement complexe. Elle touche à plusieurs enjeux et varie au cas par cas. Est-il possible de l’uniformiser davantage ? Selon Cynthia Gagnière et Chanel Ouellette, respectivement coordonnatrice et chargée de projet chez Abrinord, on ne peut pas concevoir de gestion globale, puisque « chaque situation est unique ».
Elles proposent toutefois de concevoir la gestion des barrages par bassin versant. « Les gens ont souvent tendance à regarder ce qui se passe dans leur cours. Il faut plutôt développer la pensée du bassin versant, qui consiste à réfléchir en amont et en aval. Le fait d’implanter un barrage ou de modifier le niveau de l’eau aura toujours un impact pour ceux en amont et en aval », explique Mme Gagnière.
Or, les gens ne sont pas nécessairement au courant de cette dynamique hydrique. À la suite de sa démarche de concertation sur la gestion des barrages, Abrinord a constaté un manque d’information scientifique, ainsi qu’un manque de communication entre les gestionnaires de barrages et les autres acteurs. Selon l’organisme de bassin versant de la rivière du Nord, il faut clarifier la réglementation, mieux définir les rôles des différents acteurs de l’eau et favoriser une meilleure communication pour assurer une gestion plus harmonieuse et cohérente.
Des riverains sauvent leur lac
L’association des propriétaires et résidents du lac Croche Sainte-Marguerite-Estérel possède un barrage en enrochement. Préoccupée par le niveau de l’eau du lac, l’association a fait mener, en 2012, une étude sur l’état de l’ouvrage de forte contenance. Sa conclusion ? Le barrage devait être refait. Sinon, les conséquences étaient nombreuses : baisse du niveau d’eau, retrait de l’eau, sédimentation, vieillissement du lac, baisse d’évaluation des propriétés, baisse de la qualité de l’eau, perte d’usage du lac, etc.
« Au conseil d’administration, on a choisi de faire une proposition de financement », raconte Michèle Lacoste, responsable de l’association et présidente du Regroupement des lacs de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson et d’Estérel. Il était suggéré aux gens de donner 2 800 $ par maison construite en premier rang, 1 350$ par terrain en premier rang non construit et 900 $ par terrain en second rang. Ces chiffres n’étaient qu’une suggestion : les personnes pouvaient choisir de donner plus, de donner moins ou rien du tout, précise Mme Lacoste.
La somme nécessaire a finalement été recueillie, grâce à la participation d’environ 75 personnes. La réfection de l’ouvrage, dont les travaux se sont échelonnés sur neuf jours en 2016, a coûté entre 125 000 et 130 000 $. Ultimement, la réalisation d’un tel projet dépend de plusieurs facteurs : il faut détenir un minimum d’expertise, posséder les ressources humaines et financières nécessaires et compter sur de bonnes collaborations. À l’heure actuelle, la vigie des lacs est surtout assurée par les associations et les riverains, constate Michèle Lacoste. Et son succès dépend éventuellement d’initiatives individuelles et de la volonté des villes et des organisations.