L'invisible itinérance féminine
Par Lpbw
SAINT-JÉRÔME. Les femmes sont nombreuses à vivre des situations d’itinérance, mais peu le manifestent. Concrètement, l’itinérance féminine, un phénomène peu connu, est bel et bien présente, mais elle est invisible.
Plusieurs chercheurs travaillent en ce moment sur un projet de recherche initialement intitulé L’itinérance au féminin. Notez que les situations d’itinérance au féminin sont en croissance, mais encore peu étudiées au Québec et au Canada de façon spécifique.
En outre, selon une étude, «les stratégies des femmes en situation d’itinérance font en sorte qu’il est difficile d’évaluer leur nombre. L’aspect vestimentaire tout comme leur souci de la propreté fait partie de leurs modes de survie, ce sont des stratégies pour éviter la violence et la stigmatisation de la rue, mais ces comportements participent à l’invisibilité des femmes itinérantes.» Un résumé de la situation que partagent les chercheuses et intervenantes que nous avons rencontrées à la Maison de Sophia à Saint-Jérôme.
Sur le terrain
Katia Grenier, étudiante à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) – Campus St-Jérôme, y a inscrit sa maîtrise et travaille sur ce projet. Elle fait notamment des entrevues avec des femmes qui ont vécu l’itinérance. Josée Grenier, directrice de recherche, professeure au département de travail social de l’UQO, campus de Saint-Jérôme, nous explique que faire de la recherche de cette façon est plus rare. «C’est particulier avec la clientèle en itinérance. Ces femmes sont toujours en mouvement.»
Sylvie Plante, la directrice de la Maison de Sophia leur a fait une place pour qu’elles puissent faire ces entretiens «Ça prend un lien fort avec l’intervenant du milieu pour la femme puisse se confier, se dévoiler», souligne-t-elle. «Quand j’approche les femmes, ce n’est pas facile, car elles ne se reconnaissent pas comme itinérantes même si elles n’ont pas de toit», nous révèle Katia Grenier.
C’est pourquoi, pour les chercheurs, la collecte d’information prend du temps. «C’est souvent très long avant d’avoir un lien de confiance à cause du sentiment de honte», a constaté Katia . «Les femmes se trouvent heurtées pas leur propre situation, on est très jugeant comme société», renchérit Josée Grenier.
La précarité aux multiples visages
Selon elle, ce n’est pas une seule situation qui amène à l’itinérance, mais une multitude de situations. «Leur plus grand problème est celui de la violence qu’elles vivent. Elles arrivent ici (La Maison de Sophia) avec un portrait de violences multiples, sexuelle, conjugale, économique.» Elle ajoute qu’il n’y a pas une trajectoire de ces femmes qui n’a pas été marquée par les abus, de la violence familiale.» Et il y aussi les problèmes de santé mentale, de toxicomanie ou de prostitution.
Elle évoque aussi les problèmes de logement, la séparation, la maladie, une arnaque. Ou bien une longue perte d’emploi. «Ensuite c’est le cycle infernal: perte d’estime, rejet de la famille, des amis, la maladie arrive et tu retrouves dans ton auto!» Sylvie Plante confie en effet qu’elles ont accueilli à la Maison de Sophia deux femmes qui, auparavant, vivaient dans leur auto.
«Un petit pourcentage de femmes se retrouvent dans la rue, nous dit Josée Grenier, mais l’itinérance au féminin c’est aussi des femmes qui se retrouvent chez l’un ou chez l’autre, chez des amis, ou dans des logements en échange de faveurs sexuelles.» On les retrouve rarement dans les refuges mixtes «c’est inadéquat pour les femmes à cause de la violence.»
Plus dur dans les Laurentides
Dans la région, la situation est encore plus difficile. «Les revenus baissent, les loyers augmentent. Dans les Laurentides on a la moitié moins de logements sociaux que dans le reste du Québec», avance Corinne Ameteau, agente de développement pour la Maison de Sophia.
Elle parle aussi du fait que les femmes ont plus souvent des emplois à temps partiel, au salaire minimum, «encore aujourd’hui les femmes gagnent souvent 10% de moins que les hommes.»
«Les femmes sont beaucoup plus à risque de se retrouver en situation d’itinérance et c’est encore pire si tu es immigrante ou mono parentale», ajoute l’intervenante. Mais aussi, lors de séparations, c’est encore elles qui vont garder les enfants, ce qui veut dire des difficultés supplémentaires (emploi, garderie, nourriture, etc.). Toutes notent que les transformations des structures sociales font en sorte les femmes en payent le prix fort.
Néanmoins Josée Grenier trouve les femmes fortes. «Elles sont courageuses. Elles continuent d’être debout face à des situations de vie difficile,» conclut-elle.
La Maison de Sophia
La Maison de Sophia est un lieu d’hébergement sécuritaire pour les femmes (sans enfants) situé à Saint-Jérôme.
En plus de fournir un hébergement sécuritaire aux femmes en difficulté du territoire des Laurentides, les intervenants de la Maison de Sophia accompagneront les résidantes au quotidien et les aideront à repenser les balises de leur vie tout en maintenant l’interaction avec leur environnement social. Téléphone: 450-822-3389. www.maisondesophia.com